par Claude Alphandéry, président du Labo de l'économie sociale et solidaire, président d'honneur de France Active
La crise qui pèse sur les peuples n'est pas seulement financière. Elle est économique, écologique, sociale, morale et politique. Ses conséquences frappent le quotidien de la plupart des citoyens
: augmentation du chômage, baisse du pouvoir d'achat, violence des relations professionnelles, appauvrissement des plus démunis, explosion des inégalités, dégradation de l'environnement…
Face à cette situation, l'Europe et la superpuissance américaine donnent le spectacle atterrant de leur complaisance à l'égard des pratiques toxiques du capitalisme financier. La rigueur imposée
par la gestion d'une dette liée à la course effrénée aux profits réduit le pouvoir d'achat, l'emploi et la compétitivité des entreprises. Elle réduit d'autant les chances de reprise tout en
aggravant la situation des plus faibles comme celles des classes moyennes. Et les dirigeants font encore semblant de croire à des mesures de régulation très partielles qui font la part belle à
ceux qui s'enrichissent sur la crise.
Les peuples ne restent pas indifférents et manifestent partout leur indignation. Ils ne supportent plus d'être condamnés aux secousses de plus en plus brutales de la société, de l'économie, de la
finance. Ils exigent des gouvernements qu'ils changent de cap. Mais combien de temps faudra-t-il encore attendre pour que ceux-ci les entendent ? Les Etats resteront-ils impavides devant
l'effondrement prévisible ?
Nous savons pourtant qu'une autre voie est possible. Elle est fondée sur d'autres formes de production et de consommation qui profite non aux privilégiés mais à l'ensemble des citoyens. Dans une
déclaration commune récente, une centaine d'organisations et de personnalités ont estimé que cette voie passait tout d'abord par d'autres rapports démocratiques, par une écoute et une expression
publique des citoyens et de leurs organisations représentatives, tant françaises qu'internationales. Il n'est que temps que les responsables politiques adoptent une approche différente de la
mondialisation et de la construction européenne, en cherchant des relations équitables entre l'ensemble des parties-prenantes. Elle implique également une autre conception de la richesse dans sa
nature et dans sa répartition. Le développement des échanges marchands devraient s'appuyer sur la coopération et non sur un excès de compétition pour le seul profit, tandis que les échanges non
marchands donneraient toute leur place aux besoins fondamentaux des citoyens. Enfin, si nous voulons offrir un futur plus accueillant aux jeunes générations et à celles qui nous rejoignent en ce
moment, les ressources naturelles doivent être respectées comme un bien commun de l'humanité. L'éducation, la prévention et la culture doivent être considérées comme des enjeux déterminants de
l'évolution de la société.
Cette voie n'a rien d'une utopie. Elle est mise en œuvre au quotidien par les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS). Constituée de milliers d'initiatives très diverses dans leurs
réalités, l'ESS se fonde sur des caractéristiques essentielles : un projet économique au service de l'utilité sociale, des valeurs éthiques, un fonctionnement démocratique et une dynamique de
développement fondée sur l'ancrage territorial. Ces initiatives ouvrent des voies nouvelles car elles cherchent à produire, consommer et décider autrement, et à développer un projet économique
plus respectueux des personnes, de l'environnement et des territoires. Elle constitue aujourd'hui une force économique qui représente 10 % de l'emploi en France, 215 000 employeurs et 2,3
millions de salariés. Les pouvoirs publics n'y sont pas insensibles mais ne parviennent pas encore à s'approprier pleinement les aspirations qui guident l'ESS. Celle-ci a apporté la preuve de sa
capacité de transformation du système ; il leur appartient désormais de prendre toute la mesure de ses apports aussi bien en termes de lien social que de création d'entreprises, d'emplois, de
richesse. Il est temps de lui donner les moyens de changer d'échelle, pour être à la mesure des enjeux. Il y a urgence à lui donner un nouvel élan pour faire reconnaître l'ampleur de sa capacité
à transformer et irriguer la société tout entière.
Tel est l'objectif de ce mois de novembre où se déploient et s'affichent des milliers d'initiatives qui témoignent de l'engagement des citoyens, de leur capacité à se rassembler, à coopérer pour
mieux vivre ensemble, à s'organiser sur leur propre territoire, à donner le pouvoir aux personnes et non à l'argent, à partager collectivement la richesse produite en préservant les biens
communs… Le dualisme Marché-Etat ne suffit plus. Il y a une impérieuse nécessité à tenir compte des apports de la société civile, de l'engagement des citoyens, des capacités propres de
développement de chaque territoire. Il y a urgence à mettre en œuvre une véritable démocratie économique. Les acteurs de l'économie sociale et solidaire en ont la capacité. Les responsables
politiques en auront-ils la clairvoyance ?
SURTOUT A NE PAS MANQUER : Le Monde Economie daté du mardi 1er novembre propose un dossier "spécial économie sociale et solidaire", auquel
participeront de nombreux acteurs de cette grande famille – qui comprend associations, coopératives, mutuelles, fondations et… les entreprises sociales –, à l'occasion de la 4e édition du Mois de
l'économie sociale et solidaire qui se déroule en novembre. Anne Rodier et Adrien de Tricornot s'efforceront pour leur part de répondre à la question : "En quoi l'économie sociale est-elle prête
à prendre le relais de l'Etat en temps de crise tenté de se désengager et qui aimerait bien trouver des partenaires pour assumer le coût de la protection sociale ?"
source : Le monde